Pour cette installation, le correcteur aurait été heureux de trouver les mots suivants :
- perception de l‘espace : comment le spectateur perçoit-il cette installation? Plutôt que par l’oeil, par les pieds : circulation, obligation de se mettre en mouvement, parcours, promenade… Par les narines : respiration Par les yeux : effacement des formes, incertitude… Le visiteur est assailli d’impressions tactiles et visuelles, immédiates, qu’il doit peu à peu réconcilier. On songe à la phénoménologie. Ou sans ces grands mots, on doit s’interroger sur la manière dont cette oeuvre orchestre les réactions et sensations du visiteur.
- la dimension spirituelle : les colonnes renvoient à l’architecture des églises, comme la pénombre (tradition mystique) et ces goutelettes d’eau qui transfigurent la lumière : l’invisible devient visible, la lumière touche le visiteur – c’est quelque chose que l’architecture religieuse a beaucoup exploité, en en faisant une métaphore de la transformation spirituelle (la lumière des vitraux tombe sur les parties les plus sacrées de l’église).
- paysage, avec une discussion du rapport entre l’extérieur ici déplacé à l’intérieur. Références possibles : “land art”, “earth art”, “in situ”. Vous pouviez parlez du White Cube, et comment ce sont les propriétés des matériaux utilisés qui déjouent les effets de celui-ci.
- Aussi, le contraste entre les collines de galets et les colonnes de pierre, le rond et l’érigé, le féminin le masculin.
- Nature/culture sinon, en comparant le galet poli par la mer et par le temps et la pierre, taillée par l’homme dans une durée qui est celle du monde du travail.
- Enfin, il y a avait dans “Steam” et dans le CAPC une correspondance qui vous a échappé. Steam est en anglais un terme associé à la révolution industrielle : c’est d’abord la machine à vapeur, celle du chemin de fer. Dans son tableau, Rain, Steam, and Speed de 1844 Turner associe vapeur, vitesse, et “pollue” un coucher de soleil flamboyant par la vapeur noire d’une locomotive. Quant au CAPC, ce fut autrefois un lieu de la révolution industrielle, puisqu’il s’agit d’un ancien entrepôt de denrées coloniales.
Robert Morris ramène ainsi dans l’espace d’exposition des sensations qui diffèrent des réactions attendues face aux médiums traditionnels : on n’est ni face à un objet, ni face à un paysage, ni à l’architecture, mise ici au service de sensations plutôt que de fonctions. On est en plein dans la “redéfinition du champs” de la sculpture qu’analyse Rosalind Krauss.
Sur Robert Morris, une exposition en cours, intitulée justement The Perceiving Body.
PS : Qu’est-ce qu’un paysage? En l’absence de définition qui permette de distinguer nature et paysage, Alain Roger (Court Traité du Paysage) propose d’y voir un ensemble de signes, un souvenir, une projection sentimentale. Le paysage est une nature investie de signification par notre mémoire, une mémoire largement construite par les représentations de la nature dans l’art.